NOTE ARTISTIQUE

 J’ai d’abord réalisé deux courts-métrages documentaire sur l’autisme, au Grand Réal, avant de démarrer le tournage du film Dire son silence.

Ces deux expériences m’ont permis d’entrer en relation avec les résidents et les éducateurs, de faire connaître mon travail auprès de l’institution.

Mon regard était néanmoins un regard extérieur : « Je découvrais l’autisme ».

Puis j’ai pensé à un autre projet de film, « vu de l’intérieur ».

J’ai pour cela travaillé à mi-temps en tant qu’éducateur durant 3 ans. Parallèlement, je filmais et tissais des liens avec les résidents, l’équipe éducative, animait des ateliers de pratique artistique (cinéma, théâtre) avec Jakline Cerv (art-thérapeute et comédienne).

 Le tournage :

Le tournage s’est déroulé durant cette période de travail, afin d’établir une relation basée sur la continuité.

Je montrais les rushes au fur et à mesure de l’avancement du tournage aux résidents que je filmais, afin d’établir une relation de confiance qui passait pour moi par une certaine transparence, une visibilité du travail en cours. C’est dans cette relation de réciprocité que s’est construit le film progressivement.

 Grâce à l’approche concrète que permet le cinéma, par l’observation des gestes, des regards, des silences… j’ai tenté de mettre en image l’imperceptible pour rentrer dans ce monde du sensible.

 Le choix des personnages du film s’est fait en fonction des aptitudes et du désir des résidents à participer à un projet cinématographique.

Mon regard s’est focalisé sur quatre espaces :

– Le travail en milieu agricole et avec les animaux.

– Les ateliers artistiques, cinématographiques.

– La vie dans les lieux d’habitation.

– La nature environnante

Le film tisse des histoires avec des personnes qui ont du mal à se construire.

Le cinéma de par la force du récit, travaille du côté de cette jonction, et permet de mettre en relief l’histoire de ces personnes.

J’ai commencé à tourner, à accumuler de la matière filmique par petites touches, pratiquant une « observation attentive et spontanée », tel un relevé minutieux de tous les signes possibles, de toutes les expressions silencieuses que racontaient les personnes que je filmais.

Je laissais les visages, les moments, les lieux, exister de manière indépendante. Je tournais des plans séquences, afin d’amener le spectateur à une prise de conscience réflexive.

J’ai choisi de filmer seul dans un rapport d’égalité et d’assumer ma propre subjectivité, de placer ma caméra en même temps que je me place. Je ne cherche pas forcément d’emblée à trouver le meilleur angle mais surtout la bonne distance.

Je vais chercher des regards, des moments de vérité, avec le plus de finesse et d’attention possible.

Lorsqu’il s’agit de montrer les gestes du travail, j’ai essayé de travailler en plan serré, de montrer le savoir-faire, la beauté des gestes, de saisir la lumière.

J’ai appris à assurer mes mots.

J’ai filmé des personnes dont je connais les différences afin de les utiliser au mieux, des situations auxquelles j’ai réfléchi avant de filmer.

J’ai travaillé le cadre, la lumière, la relation du moment, j’ai mis en scène parfois, expliqué mes intentions aux personnes que je filmais. Je suis intervenu par moment en off, interrogeant la personne filmée sur son parcours.

Chaque fois, il s’est joué et rejoué une histoire de distance et de respect de l’espace de l’autre. Ce n’est que lorsque cet espace est commun que je filmais. Je ne pense pas avoir été voyeur car il y avait alliance, pour faire ce film ensemble.

Le montage :

Le montage s’est étalé sur une période d’un an et a duré environ 5 mois.

  * La narration et les personnages:

La structure s’inscrit dans un double mouvement : Celui de séquences captées dans la vie quotidienne, et lors des ateliers de pratique artistique durant lesquels il est question de création, d’oser aller explorer ses émotions.

Le film travaille du côté de l’émergence d’une parole, ou permet aux personnages du film de se dévoiler, de se faire entendre autrement.

Pas de voix off, pas de discours ou d’interprétations.

Le montage a procédé par soustraction, pour ne retenir que quelques personnages parmi les nombreux filmés.

Mon travail a été de juxtaposer les personnages choisis entre eux d’une certaine façon… D’être attentif, pour faire en sorte qu’ils se répondent et se révèlent, en creux, les uns par rapport aux autres.

Le film démarre par Gilbert, une personne mutique, pour aller vers Pierre, le plus jeune des protagonistes, qui s’exprime très bien et qui a accédé au langage progressivement, se découvrant une passion pour l’art et notamment le dessin.

On peut dire que les autres personnages évoluent entre ces deux extrêmes, à différents niveaux du langage.

Chaque personnage se raconte à sa manière et nous fait prendre conscience de sa singularité, sa complexité et son mystère.

* Les archives familiales:

Pour chacun des personnages, j’ai demandé aux parents de me prêter des archives familiales (des photos, des films super 8 et des vidéos).

L’idée première était de monter ces images, en alternance avec des cartons explicatifs sur fond noir, afin de retracer le parcours de chacun, de l’enfance à l’âge adulte jusqu’à l’arrivée au Grand Réal… De mettre l’accent sur des itinéraires chaotiques, un vécu dans des institutions spécialisées ou en hôpital psychiatrique.

Cette idée a été abandonnée progressivement au profit de séquences plus courtes et moins informatives.

Ces archives sont pour la plupart des photographies et des films représentant des enfants et des adolescents, en famille, durant les vacances ou à leur domicile. Seul Pierre, scolarisé, a été photographié en groupe, dans les établissements scolaires qu’il a fréquentés.

Ces archives montrent des enfants qui regardent l’appareil photo (le photographe, et bien souvent leur père), ou qui avancent vers la caméra pour s’y coller presque.

J’ai beaucoup hésité sur la mise en forme de ces images. Le parti pris qui semble se dessiner à lors actuel serait de faire exister les regards une fois de plus, le silence, sans explication et sans musique… Pour montrer, d’une part, le besoin d’exister dans le regard de l’autre, et d’autre part, témoigner d’une « enfance heureuse » malgré tout, entourée de parents proches et aimants.

De la même manière que les regards caméra, très fréquents lors du tournage, de ces mêmes personnes devenues adultes, sont gardés au montage.

* Un film sur le regard:

La caméra fait tiers et fait de ces personnes des « acteurs ». Elle leur autorise à être dans le plaisir et la confiance, à exprimer leurs émotions.

Elle est aussi la présence de l’aventure d’un film en train de se faire, un partenaire de jeu.

Les difficultés que les personnes autistes ont à regarder l’autre, à éviter le contact, les regards, s’estompent au profit de regards magnifiques et d’une adresse directe muette ou orale à la caméra.

La caméra devient une passerelle vers l’autre, un miroir. Elle rassemble la personne là où elle est morcelée, le temps d’un plan, d’une scène de jeu.

Etre filmé autorise un avenir et permet de retrouver une estime de soi-même.

La caméra devient le déclencheur de l’expression d’un geste, d’un mouvement, d’un déplacement dans l’espace.

Elle offre la possibilité de sortir de l’inhibition, d’oser dire avec le corps ce que la parole ne peut souffler, de dire à sa manière… car quand on ne peut pas dire, on passe à l’acte.

Elle opère un lâcher-prise, crée un espace intérieur de tranquillité, propice à la parole. Elle ouvre la personne à une rencontre consciente et intuitive avec elle-même et son histoire.

Filmer devient désormais une tentative de voir plus loin que ce qui est montré. « Derrière l’image »… Une personne. Et d’amener le spectateur à regarder cette personne autrement.

La relation à l’autre passe à travers l’acte de filmer. Que ce soit du côté du filmeur ou bien de celui qui est filmé. Ainsi nous construisons une relation cinématographique dans laquelle le personnage s’adresse à l’autre (le spectateur) à travers son interlocuteur (le réalisateur).

*Le jeu de l’acteur face à la caméra :

Le processus de création et plus particulièrement les ateliers de pratique artistique parcourent le film.

Au fil des séquences, les protagonistes apprennent à passer du « je » au « jeu », à exprimer leurs émotions. Travail de clown, de construction de personnage, de scènes du quotidien transposées dans l’imaginaire…

Mise à distance de soi afin d’exister, de sortir de sa bulle, d’être en harmonie avec les autres. Le costume permet une mise à distance et aide à dépasser la timidité (scène du repas imaginaire). Il est comme un moteur qui pousse à aller au-delà de ses blocages, de ses propres habitudes, de ses limites et de ses peurs.

Le film suit cette progression, notamment à travers le personnage de François, que l’on retrouve dans la séquence finale du western.

Dans cette scène, il s’agit pour les protagonistes, de sortir des refuges de l’enfance pour entrer en relation avec l’autre mais cette fois-ci par le cinéma, le film de Sergio Leone Le bon, la brute et le truand, que tous ont vu.

Le cinéma comme l’évoquait Deligny permet de mettre des images sur ce qui n’a pas de mot. Il est le plus bel art pour créer du partage, du lien entre le spectateur, le réalisateur et celui qui est filmé.

* Ma présence en off :

Ma présence se fait sentir tout au long du film à travers ma voix en off, alors que je relance, questionne certains propos des personnages. Une présence discrète, en creux, mais qui témoigne de la relation de confiance qui s’est établie durant ces années, et qui tend un fil entre nous, entre le filmeur et le filmé.

* La mixage :

La beauté de la nature environnante du Luberon soulignent les liens qui existent entre le monde animal, végétal et minéral, et les personnages du film.

Les sons de nature seront renforcés au mixage, pour créer une profondeur de champ dans l’espace sonore. Il s’agira donc bel et bien d’un documentaire pour la salle de cinéma, mixé en 5.1 et projeté en cinémascope. Un film sur « l’élan intérieur », qui je le souhaite, éclairera la passerelle qui existe entre nos deux mondes.